Patrick Calvas, chargé de mission ERE Occitanie

Tel est le titre du dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) paru en juin 2024 dont l’intitulé exact est : « Tenir le cap de la décarbonation, protéger la population »[i]. Ce rapport fait suite à 5 analyses annuelles précédentes qui, depuis 2019, dissèquent les facteurs humains responsables du changement climatique planétaire et surtout, évoquent des remèdes dont aucun ne néglige l’intensité, la multiplicité et l’intrication des enjeux politiques, légaux, sociaux, économiques et techniques. De nombreux rapports thématiques complémentaires illustrent ces préoccupations et dessinent des cheminements responsables pour en limiter les impacts [ii].

Nous sommes tous concernés, aboutir à la neutralité carbone est un enjeu majeur totalement corrélé avec la préservation des êtres vivants.

D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, plus de 3,5 milliards d’humains vivent désormais dans des zones où les changements climatiques sont perceptibles et responsables d’urgences humanitaires. L’influence sur la santé est flagrante et ses causes sont nombreuses qu’elles soient directes, canicules, tempêtes, inondations ou indirectes, maladies alimentaires, accès à l’eau potable, zoonoses… Ces effets touchent pour beaucoup des populations qui, bien que contribuant peu au réchauffement climatique, en subissent les conséquences sanitaires. Dans les pays plus favorisés, les aléas climatiques viennent cumuler leurs effets avec ceux des polluants hydriques et aériens majorant leurs impacts sur la santé des plus vulnérables ou fragiles. Les surcoûts direct induits pour la santé, sans même prendre en considération l’assainissement, l’eau, l’agriculture, l’évolution des structures et la préservation des systèmes de santé sont évalués entre 2 et 3,8 milliards d’euros par an. Nous sommes tous concernés…

Qui aujourd’hui n’a pas constaté des aléas climatiques de plus en plus violents ? Les inondations persistantes dans le nord de la France durant l’hiver 2023-2024, les trombes d’eau déversées sur la Suisse et l’Italie fin juin 2024 sont là pour nous rappeler que ces phénomènes croissent en durée, en fréquence et en intensité. Près de 20% des cours d’eaux européens ont atteint en 2023 des crues provoquant des inondations graves. Toujours en Europe, la mortalité liée aux vagues de chaleur a augmenté de 30% durant les 20 dernières années. Au cours de la dernière décennie, l’OMS a évalué le taux de mortalité des régions du monde les plus défavorisées à 15 fois celui des régions moins vulnérables. À l’heure où la mémoire d’épisodes moins récents s’estompe pour les citoyens non directement concernés, le Haut Conseil pour le Climat vient rappeler que l’Europe des 27 est en première ligne. Notre continent s’étend de la Méditerranée à l’Arctique et si l’on inclut les territoires ultra-marins s’expose aux conséquences du changement climatique des pôles aux tropiques, des hautes-montagnes aux littoraux, des terres aux mers et aux océans ! L’Europe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Tout près de nous la sécheresse des Pyrénées-Orientales, de l’Espagne est un exemple palpable.

En Europe aussi des risques sanitaires accompagnent les phénomènes climatiques. En 2022, on y a dénombré 60 000 décès supplémentaires liés aux modifications du climat. Les hivers doux favorisent la prolifération des insectes vecteurs de maladies tropicales, de ravageurs des récoltes. La fonte des glaciers en particulier alpins et pyrénéens et la diminution des réserves en eau impactent la quantité et la qualité des récoltes, contribuent aux méga-feux et détruisent les puits de carbone forestiers dans des forêts déjà malades. Le réchauffement des eaux océaniques diminue les stocks de poisson et la pêche. Les pluies extrêmes, les inondations projettent nos concitoyens vers des situations précaires et impactent sérieusement l’économie. Les inondations de 2021 du nord de la France de la Belgique et de l’Allemagne ont coûté plus de 30 milliards d’euros.

Si l’Europe n’est « que » le 4ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre (autour de 7% des émissions mondiales), son empreinte par habitant est supérieure à la moyenne mondiale. La France, dont les émissions décroissent au même rythme que la moyenne européenne, y est le 3ème pays le plus émetteur.

L’Union européenne affiche une volonté politique de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 par rapport à 1990 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle s’attache à y parvenir par des actions normatives qui sont déclinées par chacun des pays membres et incite la communauté mondiale à l’action par sa politique diplomatique. On doit bien sûr s’interroger sur la trajectoire à venir et tout particulièrement sur l’impact de la ré-industrialisation dont la réalisation pourrait relocaliser en Europe des émissions actuellement externalisées. La France poursuit une trajectoire de décroissance des émissions qui devrait permettre d’atteindre les objectifs fixés en 2030. Malgré cette nouvelle encourageante, le rapport du HCC constate un retard institutionnel à mettre en œuvre des décisions structurantes ainsi qu’une prise en compte insuffisante de l’évolution de la situation climatique et des vulnérabilités engendrées d’une manière globale. À l’échelle d’une analyse nationale, une normalisation réglementaire transparente est probablement indispensable mais le rapport nous rappelle que la situation nationale est en partie le reflet cumulatif de nos actions individuelles. Nous sommes tous au moins un peu concernés et devons prendre conscience que les soutiens institutionnels n’agiront pas seuls mais qu’ils devraient nous conduire à mieux maitriser l’utilisation des combustibles fossiles pour nos déplacements (environ 15% des gaz à effet de serre) et notre chauffage (environ 10% des gaz à effet de serre) ou à adapter nos modes d’alimentation (plus de 20% des gaz à effet de serre) afin de soutenir une transition de la politique agricole vers un système « bas carbone, résilient et juste »[1]. Nous contribuerions ainsi à promouvoir notre propre santé en améliorant la qualité de l’air que nous respirons et en éliminant des sols des substances indésirables que nous ingérons.


[1] https://www.hautconseilclimat.fr/publications/accelerer-la-transition-climatique-avec-un-systeme-alimentaire-bas-carbone-resilient-et-juste/

[i] https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-grand-public-laction-climatique-europeenne-pour-atteindre-la-neutralite-carbone-dici-2050/

[ii] https://www.hautconseilclimat.fr/publications/