Patrick Calvas, chargé de mission ERE Occitanie
Le plastique est omniprésent dans notre vie quotidienne. Pourtant, les sacs à usage unique devaient disparaître des commerces, la vaisselle jetable se tourner vers le végétal, le suremballage s’effeuiller. Il est vrai que les plastiques, pour utiles qu’ils soient, ont choqué les esprits à des échelles bien différentes au cours des trois dernières décennies. D’abord à la fin des années 90 un navigateur découvrait un vortex de plastique qualifié de « 7ème continent » et dont la taille actuelle, environ 1,6 millions de km², équivaut à 3 fois la surface de la France. Puis, très vite apparut un second problème, invisible celui-là, lorsque nous apprîmes au début des années 2000 que des substances toxiques venaient contaminer le lait des biberons destinés aux nourrissons. Alors, apparurent en France en 2016, les premières directives visant à éliminer progressivement les plastiques à usage unique d’ici 2040. On pouvait ainsi penser que la question allait être réglée puisque à l’ONU dès 2002, 175 pays avaient approuvé la lutte contre la pollution plastique et que, seuls des objets indispensables resteraient disponibles en plastique. On constate néanmoins que les données statistiques ne confirment pas l’efficacité de ces résolutions. La production mondiale de plastique a atteint en 2023 plus de 400 millions de tonnes de matières plastiques contre 367 millions en 2020 et 200 millions en 2000.
Parmi les mesures mises en place dans notre pays, les citoyens sont encouragés à trier les déchets plastiques afin d’éviter leur dissémination et favoriser leur recyclage ou décyclage[1]. De leur côté, les industriels producteurs de matières plastiques travaillent avec les scientifiques pour mettre au point des matériaux de substitution ou du moins des matériaux plastiques dont la biodégradabilité est meilleure et ne génère pas de sous-produits toxiques. Peut-on alors penser que la question des pollutions par les plastiques est en voie de résolution ?
[1] Le recyclage consistant à réutiliser le produit à l’identique, le décyclage à l’utiliser sous une autre forme par exemple transformer des bouteilles en fil de tissage pour fabriquer des vêtements.
La réponse des scientifiques contredit cet optimisme. D’une part les études considèrent que la durée de vie très importante des plastiques et de leurs produits de dégradation ne permet pas d’envisager une décroissance rapide de la contamination de la biosphère par les plastiques. En effet, les plastiques se dégradent et génèrent des particules de petite taille, les microplastiques (1µm-5mm) et de très petite taille, les nanoplastiques (1nm-1000nm). C’est là que la santé est en jeu car, ce sont elles que nous absorbons. Les indicateurs mis en place amènent à estimer que nous ingérons via la nourriture et la boisson et inhalons dans l’air respiré environ de 0,1g à 5g de microplastiques par semaine. Il s’y ajoute leur pénétration cutanée via les produits cosmétiques et le port de vêtements en fibres synthétiques.
Parallèlement, des études de toxicité notamment in vivo émergent chez l’homme. Les plus nombreuses se sont penchées sur la toxicité induite chez les personnes les plus exposées, travaillant dans les usines de production ou manipulant de grande quantité de plastique (e.g. chantiers navals). Il s’avère que toutes les analyses ne permettent pas de démontrer que tous les composés soient assurément toxiques ou le soient chez tous les sujets exposés. Toutes les études ne sont en effet ni du même niveau de qualité méthodologique ni concordantes. Des effets très délétères démontrés sur l’animal de laboratoire ne peuvent pas encore être confirmés par les études observationnelles chez l’homme. Cependant aucune analyse scientifique ne démontre a contrario l’innocuité des plastiques sur la santé.
On estime que la présence et l’accumulation de micro et nanoplastiques sont potentiellement responsables ou co-responsables de nombreuses pathologies telles des troubles respiratoires (cancer du poumon, asthme, pneumopathie d’hypersensibilité), des manifestations neurologiques, des maladies intestinales et des perturbations du microbiote, des allergies… Tout récemment on soupçonne la présence de dépôts de plastiques dans les parois artérielles de favoriser la survenue d’accidents cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux. Actuellement, ces éléments de forte suspicion conduisent à remettre en cause la sécurité des nombreux dispositifs médicaux contenant du plastique (tubulures de perfusion, flacons de soluté, éléments de respirateurs artificiels…).
Le recyclage est il une voie fiable pour diminuer la pollution par les micro et nanoplastiques ?
Si le recyclage diminue la quantité visible de plastiques rejetés dans l’environnement, il ne permet pas de réduire la dégradation des objets réutilisables ni des objets recyclés en micro et nanoparticules. Celles-ci continuent très longtemps à diffuser dans tous les milieux sans jamais entrer dans un des cycles naturels de réutilisation biologique ou chimique. Cette pollution plastique continue provient de l’usure des objets fabriqués. Les vêtements en fibre de polyester sont un exemple frappant en rejetant, dès le début de leur utilisation, des microparticules sur la peau et dans l’eau des lessives et donc des rivières et des océans. Les masses évaluées pour la seule industrie textile sont stupéfiantes : 500 000 tonnes par an.
Tous les plastiques ne sont pas recyclables. Ce sont principalement les bouteilles (PET ou polytéhylène téréphtalate) qui sont recyclées ou décyclées. Elles ne constituent que quelques pourcent des plastiques fabriqués. Leur réutilisation à l’identique ou en produit de moindre qualité n’entrave aucunement la poursuite ultérieure de leur dégradation.
Tous les plastiques recyclables ne sont pas recyclés et, à ce jour la consommation de plastique néosynthétisé ne semble même pas diminuer. On pourrait même soupçonner un effet pervers du recyclage qui génère une fausse idée de sécurité, entretien notre usage des plastiques plutôt que d’encourager l’utilisation de matières naturelles. Les techniques actuelles de recyclage n’amènent donc pas à une diminution du relargage de micro et nanoparticules toxiques pour les êtres vivants. Ainsi, l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (OPECST), s’interroge sur l’emploi d’une véritable « bombe à retardement ».
C’est donc vers la diminution réelle de la diffusion des matières plastiques que l’on doit s’orienter. Dans cette optique, et indépendamment de toute analyse technique, on attend de la responsabilité éthique des industriels qu’ils limitent la production de substances toxiques et améliorent la biodégradabilité des matériaux produits. Le retour vers des objets manufacturés inertes semble aussi une évidence même si la mutation est certainement complexe.
Face au constat de la durée pendant laquelle l’environnement continuera d’être soumis à la pollution plastique, la protection des consommateurs par les gouvernements paraît illusoire. Seule la décision de limiter la production et l’utilisation des plastiques peut , en l’état actuel de nos connaissances, s’attaquer à la source du problème. C’est à cette condition qu’une justice environnementale pourra survenir. Les populations vulnérables sont probablement les plus affectées par la pollution plastique. La vulnérabilité économique comme la maladie sous-jacente sont en cause. Par exemple, les vêtements en fibres synthétiques sont souvent les plus accessibles. En santé, les patients souffrant des maladies inflammatoires chroniques sont les plus exposés aux effets surajoutés des plastiques. Or les plastiques sont partout et un régime d’exclusion impossible…
Bien sûr, il est aussi nécessaire d’accroître la recherche pas uniquement en science des matériaux mais aussi en biologie afin de comprendre les effets du plastique sur la santé humaine et les être vivants, d’analyser les mécanismes, les moyens d’échappement… Il est non seulement nécessaire de répondre de manière transparente à la question de l’OPECST sur la nocivité du plastique mais aussi de savoir quels sont les coûts réels induits par les effets négatifs de leur utilisation massive.
La production et l’utilisation massive des plastiques nous place face à une question de responsabilité et nous interroge sur la place du principe de précaution autant pour catalyser la mutation des industriels vers des sources inertes ou naturelles de matériaux que pour amorcer la protection des populations.
Pour en savoir plus :
Winiarska E, Jutel M, Zemelka-Wiacek M. The potential impact of nano- and microplastics on human health: Understanding human health risks. Environ Res. 2024 Jun 15;251(Pt 2):118535. doi: 10.1016/j.envres.2024.118535.
Gontard N., David G., Guilbert A. et al. (2022). Recognizing the long-term impacts of plastic particles distortion in decision-making, Nature Sustainability, 5, 582-478, https://doi.org/10.1038/s41893-022-00863-2
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (2020). Pollution plastique, une bombe à retardement ? https://www.senat.fr/rap/r20-217/r20-2171.pdf