Quelle assistance pour mieux mourir ?

Le débat sur « le mieux mourir » est sans fin. Pour certains, donner les moyens d’une certaine autonomie à des personnes qui demandent une aide active à mourir, c’est leur permettre de poser un acte libre, c’est respecter leur choix et leurs droits. Alors que pour d’autres, le principe même de respect de la vie fait de l’euthanasie comme du suicide assisté une maltraitance et un détournement de l’acte médical comportant des risques d’abus pour les plus vulnérables. Pour tous, il est question de dignité.

La loi Léonetti en 2005 d’abord et plus encore la loi Claeys-Léonetti du 2 février 2016 ont tenté de concilier en partie ces deux positions en autorisant la mort par sédation profonde et continue en cas de maladie incurable d’un patient dont le pronostic vital est engagé à très court terme et ce, bien sûr à sa demande. A défaut, ses directives anticipées ou une personne de confiance seront consultées.

Si le problème de l’obstination déraisonnable des soins en phase terminale semble ainsi résolu, cette loi comporte un prérequis incontournable : l’accessibilité partout sur le territoire à des soins palliatifs de qualité afin de soulager au mieux la souffrance de fin de vie. Mais à l’heure actuelle, il reste 26 départements dépourvus de telles compétences. Dès lors, une question s’impose : comment une nouvelle loi pourrait-elle tenir la promesse d’un meilleur accompagnement de fin de vie ?

D’autres questions émergent encore :

  • Rendre accessible une aide active à mourir, est-ce la voie incontournable pour une fin de vie plus digne ?
  • Compte tenu de l’imprécision de la formulation et de l’indication, doit-on étendre la sédation profonde et continue aux maladies incurables dont le pronostic vital est engagé à moins court terme ?
  • Le suicide assisté est-il plus acceptable que l’euthanasie, comme le compromis récent fait par le Vatican semble l’indiquer ?
  • Qu’est-ce qui garantit l’humanité d’un suicide assisté ou d’une euthanasie, même quand ils sont décidés dans le cadre d’une délibération collégiale ?
  • Comment prendre en compte, lors du choix ultime de sa fin de vie, la possibilité de zones d’ombre : la personne bénéficie-t-elle d’une réelle autonomie de décision, de toute sa capacité de discernement ? Ne s’agit-il pas de sa part d’une demande de ne plus souffrir plus que d’une volonté de mourir ? Bref, comment s’assurer que le choix de mourir soit vraiment libre et lucide et non un appel au secours ?
  • S’agissant de souffrance morale, comment s’assurer de sa bonne prise en charge et de son irréversibilité, particulièrement chez les patients les plus vulnérables dont la capacité de décision est altérée ?[1]

Qu’est-ce qu’une fin de vie digne ?

Penser qu’il suffit de prendre de nouvelles dispositions législatives pour permettre une fin de vie (plus) digne occulte l’essentiel : il peut certes être légitime de choisir d’abréger les affres d’une dégradation inéluctable dont l’issue ne peut être que fatale, mais c’est avant tout la qualité de l’accompagnement de la fin de vie qui importe. Elle passe bien sûr par la présence des plus proches – mais tout le monde n’a pas cette chance. Et par une relation entre patient et équipe soignante qui permet de libérer la parole, d’écouter les attentes, de lire la souffrance afin de répondre prioritairement au choix de la personne, de façon attentive et adaptée (sans oublier de prendre en compte les effets collatéraux sur les aidants, qui ne sont pas négligeables).

Si les dispositions législatives actuelles en matière de sédation profonde et continue peuvent répondre aux situations où le pronostic vital est engagé à très court terme, elles se heurtent à deux écueils dans leur application :

  • un flou dans son indication pour les patients incurables dont le pronostic vital, bien qu’engagé, ne l’est pas à très court terme.
  • une grande inégalité territoriale dans l’accès aux soins palliatifs, dont l’offre est très insuffisante.

Le récent 5e plan national pour les soins palliatifs annoncé par les pouvoirs publics (2021-2024) offrira-t-il une amélioration en matière d’accessibilité et d’application sur tous les territoires ?

Enfin, une formation approfondie sur la fin de vie doit être rendue obligatoire et fortement renforcée ainsi qu’une formation éthique pour tous les praticiens et soignants. Soigner, ce n’est pas seulement éviter d’en faire trop mais savoir aussi résister à certaines demandes.

Modifier la loi à nouveau : pourquoi pas ?

Ainsi, dans une éventuelle ouverture législative à l’assistance au suicide, c’est le terme d’assistance, au sens d’accompagnement, qui importe. La question la plus importante reste : quelle en sera la qualité et l’accessibilité effective ?

Pour choisir une aide active à mourir il faut que la personne soit consciente, responsable et forte, capable d’une décision autonome. Mais ce scénario idéal, si l’on peut dire, est relativement peu fréquent car la maladie altère parfois le discernement. Le vécu de la souffrance – surtout morale ou existentielle – est fluctuant. La demande d’aide à mourir peut donc l’être aussi. Il faudrait alors pouvoir avoir recours à des compétences permettant de l’atténuer.

Dans ce débat qui voit l’affrontement de l’éthique respectueuse de l’autonomie et de l’éthique soucieuse de la protection des plus vulnérables, formulons simplement le souhait qu’un nouveau texte législatif s’écarte de l’effet d’annonce d’une posture « générique » pour se préoccuper, dans la complexité de son application, de la réalité des situations rencontrées et de la capacité à les accompagner, « dignement ».

Jacques Bringer.

[1] Dans le champ de la perte de discernement et de la maladie mentale, protéger les patients les plus vulnérables est aussi une question de respect de la dignité de la personne.