Publié le 03/02/2022 par P. Calvas

Les personnels soignants témoignent de leur inquiétude du fait de la surreprésentation des patients non vaccinés atteints de COVID-19 parmi les personnes hospitalisées. Les raisons de cette inquiétude sont multiples. La perte de chance qu’induit l’absence de la vaccination amène à des hospitalisations longues et parfois au décès de personnes jeunes, même sans comorbidité. Médicalement, ces décès apparaissent injustifiés. En effet, si l’on ignore encore d’éventuels effets indésirables à long terme, le rapport bénéfice-risque de la vaccination est connu sur un nombre énorme de sujets et avec le recul de plus d’une année. Les conséquences d’hospitalisations vécues comme, au moins en partie, évitables sont donc au cœur des débats. La charge de travail induite par l’obligation de la continuité des soins ajoutent fatigue et tension au sentiment d’échec. Le bouleversement des activités habituelles modifie, malgré leur encadrement par les plans sanitaires, les soins prodigués aux autres malades. L’obligation faite aux soignants d’être soit vaccinés soit écartés est perçue comme discriminante quand elle s’applique uniquement à des personnels déjà en sous effectifs.

En écho à des tensions inévitablement générées par la situation, des voix s’élèvent pour considérer le statut vaccinal parmi les critères de prise en charge des malades. L’introduction d’un critère extra-médical à la prise en charge d’un patient serait un précédent inédit qui mérite d’être analysé avec attention. Bien entendu, chaque soignant est libre d’exprimer son sentiment personnel face au rejet de la vaccination et de ses conséquences. Ceci peut-il s’accompagner d’une mise en application professionnelle et amener à la prise en compte du statut vaccinal d’un malade du COVID pour appliquer des soins ?

Le refus d’être vacciné n’est pas univoque. L’opposition à la vaccination anti-COVID reflète la peur ou l’incertitude de certains face à d’éventuels effets secondaires très médiatisés ou l’inconnue que constitue le long terme. De même, le vécu personnel ou d’un proche d’un accident post-vaccinal antérieur est un frein puissant à la décision. La capacité de conviction des médecins et scientifiques n’est pas apparue ici suffisamment convaincante ou personnalisée pour permettre une perception positive de la balance bénéfice-risque. Le manque d’information adaptées, des difficultés d’accès à la vaccination sont aussi évoquées. D’autres attitudes anti-vaccinales systématiques apparaissent bien différentes traduisant une ou des oppositions aux autorités sanitaires, aux scientifiques, aux institutions, aux politiques, à l’ordre public. Elles concernent parfois une vision exacerbée de la notion de liberté individuelle et de contournement des règles de la morale collective qui constituent un sujet capital en soi que nous ne développerons pas ici bien que celà participe grandement à générer le débat et le clivage vaccinés, non vaccinés.

Quelles qu’en soient les raisons, l’absence d’adhésion à la vaccination ne constitue pas une entorse légale à la politique nationale de santé. Le code civil, le code de la santé publique tout comme le code de déontologie médicale qu’il contient offrent au patient le droit d’être soigné, si et seulement si, il y consent dans le respect de son intégrité. Le refus d’un soin initial ne prive pas du reste des soins qui devront être délivrés « Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par les structures de soins ». Il est fait devoir aux professionnels d’« écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes ».  Ainsi la perception naturelle de tout soignant qu’un patient vacciné souffrant d’une forme sévère du COVID pourrait recevoir des soins en priorité par rapport à un patient non vacciné ne trouve aucun fondement dans la législation. Certes, l’échelle du nombre est différente en ces temps de pandémie mais quelle serait la perception du même soignant priorisant moins la prise en charge d’un accidenté de la route sous prétexte qu’il roulait à une vitesse excessive, les soins induits par une conduite addictive chez un autre etc…?

Une autre question est de savoir d’où proviennent les craintes et le ressenti des professionnels. 78% de la population tous âges confondus est aujourd’hui vaccinée contre le COVID. Doit-on soutenir raisonnablement que la frange des non-vaccinés est responsable de la poursuite de l’épidémie ?

La pandémie n’a t’elle pas aggravé une situation préexistante de carence qui lui est bien antérieure ? L’afflux de patients atteints de COVID est incontestablement venu perturber des équipes dont les ressources humaines étaient contraintes. Un équilibre fragile n’a-t-il pas également été déstabilisé par l’amplification de scénarios largement médiatisés ? Les aspects chaotiques et souvent contradictoires des propos émis par les corps constitués, la durée de la pandémie ne constituent-ils pas des moteurs plus puissants à la lassitude, au découragement, à la charge émotionnelle des soignants que le nombre des non vaccinés ?

Il semble effectivement de mieux en mieux établi que la proportion des formes sévères est majoritaire chez les non vaccinés. Dans une action médicale il est donc nécessaire de convaincre, ceux qui peuvent l’être, de se faire vacciner et de leur faciliter l’accès au vaccin. Bien entendu, les vaccinés pâtissent d’une perte de chance en cas de contamination car ils sont victimes d’un défaut d’efficacité du vaccin. Cependant, ceci devrait-il amener les non vaccinés à être moins bien traités ? N’omettons pas le fait que dans leur vaste majorité les personnes qui rejettent la vaccination n’émettent pas de directives qui étendraient ce refus du vaccin à celui des soins appropriés à la prise en charge de la maladie déclarée. N’omettons pas non plus de considérer le COVID comme l’on considère d’autres affections. Il semble donc possible de considérer que c’est moins l’absence de vaccination que la maladie elle-même qui contraint les équipes médicales à réfléchir sur le tri et les déprogrammations.

Si la vaccination demeure un atout pour se protéger de l’infection, les difficultés de compréhension, d’accès, l’hésitation à sa pratique et même son refus ne constituent pas des critères médicaux opposables à la prise en charge des malades. Assujettir une prise en charge au statut de vacciné reviendrait à s’éloigner des fondements du droit et des principes de solidarité qu’il contient. Ceci conduirait également à bouleverser l’exercice médical en dépossédant les soignants du choix des soins à administrer à leurs patients.