Publié le 09/07/2021 par Michel Clanet, Jacques Lagarrigue

Cet éditorial est le résumé d’un article complet que vous pourrez retrouver dans le site web, rubrique Grands Dossiers « Ethique et Neurosciences »

 

La convergence dite NBIC, pour nanotechnologies biotechnologies technologie de l’information et sciences cognitives et neurosciences, désigne l’intégration de ces diverses technologies jusqu’à l’échelle nanométrique de la molécule. A l’origine d’innovations sans précédent, elle transforme l’ingénierie et ouvre les perspectives de la réparation mais aussi de la transformation du vivant. Elle implique d’en repenser les conséquences à l’échelle de l’individu, de la société et de l’environnement. De nouveaux enjeux qui appellent une réflexion éthique.

 

Qu’entend-on par « neuroéthique » ?

  • une éthique de la pratique scientifique dans le contexte des recherches sur le cerveau du sujet normal ou cérébrolésé ;
  • l’analyse de leurs conséquences éthiques dans le domaine sociétal ;
  • la recherche scientifique consacrée à l’étude des corrélats cérébraux du comportement moral humain.

 

Le terme de neuroéthique est envisagé ici selon ses deux premières acceptions.

 

La recherche qui vise à comprendre le fonctionnement du cerveau humain fait appel aux neurotechnologies. Celles-ci permettent l’enregistrement des corrélats cérébraux des activités expérimentales auxquelles sont soumis des sujets qu’ils soient volontaires, normaux ou porteurs de pathologies.

 

La sophistication technique des outils conventionnels d’imagerie, particulièrement de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), a permis de passer d’une analyse morphologique macroscopique du cerveau à des résolutions de plus en fines atteignant des niveaux millimétriques. Elle a également permis le saut de l’imagerie anatomique à l’imagerie fonctionnelle qui ouvre à l’établissement d’une cartographie fonctionnelle de plus en plus précise des régions cérébrales.

 

L’imagerie fonctionnelle fait aussi appel à d’autres neurotechnologies comme la tomographie de l’émission de positons (TEP), l’enregistrement de l’activité électrique (électro encéphalographie EEG) ou électromagnétique (magnéto encéphalographie MEG) des neurones du cortex cérébral. Des techniques invasives de mise en place d’électrodes intra-corticales ou de grilles d’électrodes implantées sur le cortex cérébral permettent l’enregistrement de l’activité de populations de neurones, voire d’un neurone unique.

Toutes ces techniques de représentation des cartographies cérébrales nécessitent le traitement algorithmique de méga-données ayant parfois recours à l’apprentissage profond et l’intelligence artificielle.

 

Les techniques de stimulation électrique ou magnétique non invasives ont pénétré la pratique clinique, en particulier celle de la stimulation magnétique transcranienne, mais la recherche ouvre des perspectives nouvelles avec l’optogénétique et la sonogénétique. L’utilisation des neurotechnologies en liaison à l’activité cérébrale est en pleine expansion à des fins de restauration fonctionnelle comme les interfaces cerveau-machine, mais un tout autre domaine est celui des neurotechnologies mélioristes : il ne s’agit plus de réparer un corps souffrant mais d’augmenter des aptitudes cognitives individuelles voire les performances collectives d’un corps social.

 

Comme le précise un rapport du comité de bioéthique de l’UNESCO en cours de publication, les neurosciences et les neurotechnologies sollicitent une réflexion autour des valeurs référentes de la bioéthique :

  • La dignité humaine : la dignité renvoie à l’être de l’homme et par là même au respect de son intégrité corporelle, y compris son intégrité mentale. Ainsi, toute manipulation à l’aide des neurotechnologies en constitue une atteinte.
  • L’ identité personnelle, sa continuité et l’authenticité du soi : la stimulation cérébrale profonde ou la neuropharmacologie sont susceptibles de modifications de la personnalité et des comportements de la personne à son insu.
  • L’autonomie : selon quel degré peut-elle être modifiée en situation de maladie mentale ou en recherche dans un contexte de manipulation des activités cérébrales ? Une réflexion sur le consentement est ainsi nécessaire.
  • La vie privée mentale : le droit à la protection de la vie privée inclut la vie mentale et ses corrélats d’activité cérébrale sous toutes ses formes, particulièrement ses données numériques.
  • L’ équité d’accès et la justice sociale : le coût réel des neurotechnologies réduira leur disponibilité à quelques patients privilégiés. Si elles apportent à l’avenir des gains thérapeutiques substantiels dans diverses maladies, il faudra en assurer une équité d’accès comme on a pu le faire en France pour l’implantation d’électrodes de stimulation cérébrale profonde dans la maladie de Parkinson.

 

La pratique clinique en neurologie ou en psychiatrie confronte quotidiennement à des prises de décision qui soulèvent des questionnements sur des valeurs d’éthique clinique. Comme tout dispositif utilisé à des fins médicales, les neuro-technologies doivent faire la preuve d’un bénéfice supérieur au risque, satisfaisant ainsi aux principes de bienfaisance et de non-malfaisance. Ces principes ont-ils trait à l’utilisation des neurotechnologies à des fins d’amélioration ?

 

Toutes ces innovations se multiplient sans qu’aucune de ces procédures n’ait vraiment fait l’objet de recherches qui permettent d’en assurer l’intérêt et l’absence de nuisance. La société doit-elle admettre l’homme augmenté ? Et, si tel est le cas, est-ce par n’importe quel moyen et à n’importe quel prix ?

 

La mise en perspective des innovations dans le champ des neurosciences et leurs répercussions dans les domaines de la médecine, de la recherche, de la société montrent l’ampleur de ce champ de la bioéthique. Il sera l’un des thèmes majeurs soumis au débat citoyen.

 

La neuroéthique a été peu abordée lors de la loi de bioéthique révisée en 2021, qui retient essentiellement l’interdiction de l’utilisation de l’imagerie cérébrale à des fins juridiques. Il convient pourtant à l’évidence de réinterroger le sujet de droit face à l’apport des neurosciences. L’Occitanie est l’unique région dans laquelle ont été reconnus deux centres de recherche d’excellence dans les maladies neurodégénératives (à Toulouse et Montpellier) labellisés par le plan national maladies neurodégénératives 2014-2019.

 

Mettant à profit cette expertise territoriale, l’ERE Occitanie a décidé la création d’un groupe de travail consacré à la neuroéthique. L’objectif est de préparer les citoyens à ces débats qui ne sauraient être évités lors d’une prochaine révision de la loi bioéthique.